Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de Jean-Noël LEBLANC
Newsletter
16 abonnés
17 mars 2020

Cavanna a dit (3) :

Lune de miel eBook by François Cavanna

"Un écrivain qui ne peut plus écrire, alors que sa tête bouillonne toujours et plus que jamais... Bon, j'aurais pu le perdre, ce bras. Les tronçonneuses volent bas, sous le ciel d'automne, les roues des camions, sur l'autoroute, ne demandent qu'à broyer. Il y en a à qui de telles choses arrivent. Oui, mais ils ne font pas métier d'écrire. Et alors ? Ils sont peut-être horlogers, ou sculpteurs sur grains de riz, ou tatoueurs à façon... Pas mes oignons. De bonnes âmes me conseillent :

- Apprends à taper. D'abord, aujourd'hui, personne n'écrit plus à la main. Ou bien dicte, pourquoi pas ?
Bonne âmes, j'ai essayé tout cela. Ça ne marche pas. Quand j'écris, j'ai le dedans de la tête en contact direct avec la feuille de papier. Ça coule du cerveau par la manche droite de mon pull jusque dans les doigts, jusque dans le bic ou le feutre, là où ça se mélange à l'encre et ça cavale tout seul. Pas de relais, pas d'interruption de parcours. Direct de la matière grise au consommateur. Si j'interpose un moyen mécanique sur le trajet, je casse tout. Ça devient plat, banal, ou prétentieux. Non : la tête, le papier, et entre les deux la main avec son doigt et de l'encre au bout.

Ce fut une dure, une longue bataille. Que j'ai crue un moment gagnée. Qui ne l'était pas. Si vous pouviez voir le gribouillis que barbouille mon stylo en ce moment même !... Mais je lutterai, j'ai besoin de parler ou je meurs. Ma parole, c'est l'écriture. A la main. Tant que je pourrai écrire une ligne, je serai présent parmi les vivants.

J'ai atteint l'âge où ceux qui font métier d'écrire n'écrivent plus. Ce qu'ils doivent s'emmerder ! Je n'étais pas "fait" pour être esclave de la chose écrite. Je le suis devenu. Ecrire m'est nécessaire, vital. Raconter. Expliquer. Amener le lecteur dans l'état où l'on a décidé qu'il serait, et cela rien qu'en arrangeant des mots. C'est-à-dire séduire. Ou s'indigner. De toute façon : dominer. Comment s'en passer une fois qu'on a goûté à cette ivresse ? Je ne parle pas ici du plus ou moins de succès en librairie, mais bien de cette joie puissante, de cette plénitude qui vous soulève et vous transfigure quand on sent que ça y est, le piège est là, magnifique, la proie ne peut qu'y tomber et rejoindre l'auteur dans son plaisir immense.

C'est pourquoi, jusqu'à l'ultime seconde, j'écrirai."

Cavanna, Lune de miel, éditions Gallimard.

Publicité
Commentaires
Le blog de Jean-Noël LEBLANC
  • La petite vie et la grande œuvre de Jean-Noël Leblanc ! Avec des perles de lycéens, des vaches de profs, des chats peinards, des copains hilares, à boire, à manger, à chanter, à voir, à rêver, à lire, à rire, à sourire. A vivre mieux, peut-être !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 1 438 843
Publicité