C'est la fête des grands-pères - Pour Marius et Marcel
Les miens s'appelaient Marius et Marcel.
J'ai connu l'un longtemps, mais l'autre n'était déjà plus là quand je suis né.
Dans Les orties douces, chant d'amour à ma Mémé, j'évoquais ce "mari perdu, le Pépé - qu'une maladie chienne lui enleva trop tôt.
Nous n'avons pu goûter son clair sourire autrement que par un portrait maladroitement colorisé, ni sa joue rugueuse, ni sa bonhomie, et la vie de la Mémé s'était couverte d'un crêpe invisible mais tenace, du filet du pêcheur implacable qui dépeuple les saisons en agrippant l'enfant, le mari, le frère, le fils adulte, de ses doigts croches."
La course du vent m'a permis un peu plus tard de revenir sur ces deux absences :
"J'ai 6 ans.
Je ris.
Dans la cour, le vieux Pompon s'avance lourdement, docile et las, guidé par la main sèche et solide du Pépé Philibert.
Je ris, mais je suis bien intimidé, je crois, par cet énorme cheval qui tire un char vide, de retour de l’étable où on l’a déchargé de ses bottes de paille. Le Pépé Philibert me saisit sous les bras, presque par le maillot de corps.
Le « Pépé Philibert », ce n’est pas mon vrai Pépé : c’est un vieux voisin aux joues de cactus mais qu’on aime bien. Mon Pépé à moi, il s’appelle Marcel, c’est le Papa de ma Maman ; il est garagiste, il a une grosse moustache blanche, un béret noir, il aime rire et chanter fort pour faire râler sa Mémé, la Maman de ma Maman. Elle râle, sa Mémé, mais elle finit toujours par rire avec lui.
Et puis mon autre Pépé, il s’appelait Marius, c’était le Papa de mon Papa. La Mémé nous parle parfois de lui, et de la chance qu’on a, parce que notre Papa à nous, il a perdu son Papa à lui, qui s’en est allé quand la maladie est venue le chercher. Ce Pépé-là, on ne l’a jamais entendu rire et chanter, ni faire râler sa Mémé. De toute façon, la Mémé, elle ne râle jamais, elle sourit tout le temps, même si je sais que le Pépé, c’était comme une petite fleur dans son cœur que la Mort est venue faucher.
Parce que la Mort, elle s’en fout bien, de la prière des gens malheureux : elle est sourde, je crois, la Mort. Alors elle arrive avec sa grande faux, chez les riches comme chez les pauvres, et quand elle repart, elle leur laisse un vaste désert dans le cœur, avec le vent qui souffle au-travers."