Serge Gainsbourg a dit :
Serge Gainsbourg est mort le 2 mars 1991. Deux jours plus tard, Libé publiait une interview réalisée en 1981 par le fameux Bayon.
Extraits choisis de cette "interview d'outre-tombe" :
"Bon, je suis mort. Je fais un bilan. Un mort avec la parole, il fait le bilan… De toute façon, je suis à côté de mon chien puisque je l’ai perdu, je l’ai donc retrouvé. Il est mort d’une cirrhose… Peut-être était-ce par osmose ? La mort est « toujours » présente, si on n'est pas con. Pour moi, le noir c’est la rigueur absolue. La couleur du smoking.
Il faut qu’on comprenne ma démarche. Pas tout de suite. Ce n’est pas possible. D’ailleurs, c’est absolument inutile. Inutile de se survivre par ses actes, par ses œuvres. Vouloir se survivre, c’est d’une arrogance monstrueuse. La seule façon de se survivre, c’est de procréer. Comme les chiens. Car nous sommes des chiens. Nous baisons qui se trouve à proximité. Nous baisons par la promiscuité d’un trottoir comme les chiens s’enfilent sur le même trottoir. Il n’y a que la procréation, pour se survivre. La Cène de Léonard de Vinci a fini dans la boue à Florence. Donc il n’y a pas d’éternité. Il y a des éternités de 300, 400, 700 ans... Et alors ? Et puis ?... André Chénier, avant de se... séparer de son corps, a dit : « Et pourtant j’avais tant de travail à faire et tant de chose à dire... » Pfff... Encore, moi, j’aurais pu dire des choses jusqu’à plus soif - et j’ai toujours soif.
Je suis devenu une tête brûlée… Je me suis dit : « Bon, le pognon, y’en a marre ! La gloire, je l’ai. Passons aux choses sérieuses »… Et l’éjaculation intellectuelle, c’est bien la poésie, pour moi. Ce n’est ni le cinéma ni la musique, mais la poésie. Parce qu’elle entre dans le cerveau par l’œil. Et non par l’oreille. La rétine est plus précieuse que le tympan. Sauf pour les myopes.
La poésie ?… C’est ce qu’il y a de plus nocif, pour l’homme. Donc de plus intéressant. C’est bien plus fort que la coke ou l’héro. J’ai dit « poèmes ». Je n’ai pas dit « lyricssss »!... J’étais un faiseur de lyricssssss ! Mais pas un poète. Encore que parfois... j’aie fait des approches. Oui, je faisais « des approches »...
Verlaine ? Il fait chier. Je ne connais pas de Verlaine. Je connais que Rimbaud. Du couple. Il n’arrête pas de pleurer. Je ne pleure pas. Je gueule. Rimbaud, Picabia. Huysmans. (...) En fait, j’aurais aimé vivre le mouvement dada. Je pense que j’aurais réussi en peinture et en poésie dans le système dadaïste. C’était la dérision et le cynisme absolus.
Le verbe « faire » est primordial. On dit : « Je fais dans la chanson », « je fais dans le cinéma », « je fais dans la photo », « je fais dans la poésie »… Mais qu’est-ce qu’on disait quand on était petit : « Maman, j’ai fait. »
C’est comme l’amour. L’amour, en fait, c’est cru ou cuit. On aime les oiseaux crus, pour leur chant ; ou cuits, pour leur barbaque. C’est ça, l’amour. Il faut être « cuit » ou « cru ».
Je n’ai pas touché le fond. Je suis au ralenti. Comme un ralenti cinématographique…
« Mission accomplie mon colon ! » (Rires.)
Serge Gainsbourg (propos recueillis par Bayon pour Libération, lundi 4 mars 1991)
Pour lire l'interview en entier : Libération.fr – Gainsbourg raconte sa mort
A lire aussi, l'édition intégrale de leurs échanges :
Gainsbourg raconte sa mort, Bruno Bayon (Grasset)
Illustration de Sébastien Rieu pour "La Décadanse" :
Mon dessin publié de Gainsbourg - Portraits Pin-Up Caricatures
Illustration de Mathieu Alday pour "Gainsbourg photographe" :