Marie Desplechin a dit :
"(L'enfance) est la « matière » de l'homme. Tout ce qui constitue un homme ou une femme prend sa source dans l'enfance. On n'en finit jamais avec elle. J'ai depuis longtemps le sentiment de voir chez les adultes les enfants qu'ils ont été. Et, plus le temps passe, plus ça me semble flagrant, pour ce qui me concerne comme pour les autres. (...) Etre proche de son enfance pourrait paraître infantile, mais c'est évidemment l'inverse. Cette fontaine de créativité, de joie, de capacité d'adaptation est un super-outil pour les adultes. L'enfant est le père de l'homme.
J'appartiens à une culture qui est morte. Je parlais avec mes grand-mères de souvenirs qui remontaient au début du xxe siècle, je lisais les livres qui étaient chez elles d'auteurs aujourd'hui totalement oubliés. Qui se souvient d'Edmond About ? Il faut en faire le deuil. Oui, des choses vont se perdre, et alors ? Il faut d'autant mieux accompagner celles qui vont rester.
Imaginer qu'aucune transmission ne se fera est complètement idiot. Mais si nous voulons réussir à transmettre quelque chose, il faut le faire dans la joie, pas dans la peur et l'imprécation. Cesser de dire que les jeunes ça ne va pas, que la civilisation est finie, que la barbarie est à nos portes. Et ne pas se tromper de combat. On aurait dû, par exemple, réformer l'orthographe depuis longtemps. Mais on ne le fait pas, et à force de rester braqués sur des références mortes, des nostalgies d'un monde immuable, nous allons vers une langue d'une complexité inutile, réservée à une communauté de plus en plus restreinte. Si la transmission, c'est organiser des concours de dictée, ça n'a aucun intérêt.
Marie Desplechin (Propos recueillis par Michel Abescat, in Télérama, 1er avril 2014 - photo Wikipedia)