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Le blog de Jean-Noël LEBLANC
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13 janvier 2024

Nicolas Mathieu a dit :

Le ciel ouvert"Je ne sais plus quand j’ai commencé à écrire sur Facebook. Vers 2008 je crois. Et mon premier post Instagram doit dater de 2012. Depuis, j’en ai publié plus de mille quatre cents. Mais à partir de 2018, j’ai commencé à écrire là des messages qui n’étaient destinés qu’à une seule personne. Une femme, qui n’était pas libre. Ces textes peuvent se lire comme des billets cachetés que je lui adressais et où je glissais par surcroît, comme une friandise, l’attention que d’autres allaient leur porter. Je lui disais je pense à toi, tout le temps, je te veux, tes mains, ton cul, tes baisers, ton temps, ta nuit, je te veux et tu n’es pas là. Je présumais la fin de notre histoire, je rêvais de la suite, je ressassais les trois ou quatre mêmes idées fixes, l’absence, le besoin, le secret, notre joie malgré tout. Surtout, je lui disais regarde comme je t’aime : on t’envie.

Ces textes que j’écrivais dans mon coin, seul, inquiet, enragé à lui plaire, ces textes destinés à cette femme qui m’était disputée par un autre, par une famille, un job, des responsabilités, des journées où j’avais si peu de place, ces textes furent ma ruse, mon vrai don et un défi. Ils attestèrent notre existence aux yeux du monde. Ils lestèrent cet amour du poids de tous les yeux qui se portaient sur lui. Ils firent donner toute la lumière possible sur cette ombre à laquelle nous étions réduits. Les écrivant, j’inventais aussi l’amour entre nous, j’ouvrais comme toujours le laboratoire des romans, dressais les éprouvettes où distiller le vécu, condenser la substance des histoires futures. J’étais cette machine à fiction qui mue la fugue en destin.

Ces textes furent aussi écrits pour poursuivre cette guerre au cours des choses qui m’occupe depuis l’adolescence, en figeant le mouvement de l’horloge, en muant en mots l’infernal trafic de sentiments, d’impressions et d’images qui nous traversaient. Au fond, la vie est presque toujours au-dessus de nos forces. Et partant de là, écrire n’aura été pour moi que la tentative de tenir bon, de ralentir un peu l’imminence de la dernière vague.

Ce livre, je l’ai donc conçu, avec certaines complicités, comme une machine infernale rassemblant les pièces éparses de ces émerveillements, de ces détresses, de tout le flux d’expériences et de sentiments qui m’ont traversé et ne m’appartiennent plus. S’y adjoignent les ébahissements du voyage, le cœur fendu d’être père, fils, d’être en proie aux choses. Et mettant au point ce projectile, j’ai rêvé comme à chaque fois de la lectrice ou du lecteur qui dirait : Oui, c’est bien moi, c’est bien ma peine et ma joie, mon histoire et notre affaire à tous ; voilà comme on nous accable et comme je veux exister à toute force. Ce cri qui ouvre le ciel, ce temps qu’on ne me prendra pas, ce sont les miens.

Ce livre voudrait lancer un pont entre ce battement si personnel, le soupir d’un seul et le soulèvement de nos mains. Il voudrait être ce guetteur, instruit par le souvenir et par la peau, qui toujours clame un même mot d’ordre : Ne cède rien de ta joie."

Nicolas Mathieu, Le Ciel ouvert, Actes Sud, 2024.

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  • La petite vie et la grande œuvre de Jean-Noël Leblanc ! Avec des perles de lycéens, des vaches de profs, des chats peinards, des copains hilares, à boire, à manger, à chanter, à voir, à rêver, à lire, à rire, à sourire. A vivre mieux, peut-être !
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