Cavanna a dit :
"Certains aimeraient que j'habille ces petites choses du titre flatteur d'"éditoriaux". Cela me semble un peu bien ronflant pour des causeries d'homme à homme, en bras de chemise par-dessus la barrière du jardin.
J'use d'un ton "libre", au sens péjoratif du mot, (...) et j'en conviens bien volontiers. C'est que, voyez-vous, je n'écris pas du haut d'une chaire. Le lecteur est là, en face de moi, c'est entre lui et moi que ça se passe. Je veux le convaincre, captiver son attention, le mettre en joie ou en colère, bref, le séduire. Ecrire est toujours et avant tout une entreprise de séduction.
Et aussi, écrire est un dialogue. (...) Au fur et à mesure que j'avance mes arguments, j'entends les objections du lecteur, ses exclamations, ses protestations, et alors j'argumente de plus belle, je l'interpelle, je l'attrape par son bouton de col, je lui cause dans les trous de nez, je l'engueule même, je n'en reviens pas de sa mauvaise foi.
Je suis partial ? Certes. Comme celui qui, ayant fait usage de sa raison, est parvenu à une certitude raisonnable. Si je combats de toutes mes forces les religions et les autres superstitions, ce n'est pas par goût de la profanation, c'est par besoin de cohérence. Je suis curieux de tout, j'aime comprendre, je pense que chacun est comme moi, alors j'essaie de faire passer ce que je sais, ce que j'apprends, ce que je comprends, chez l'interlocuteur.
Un dialogue, ai-je dit. C'est comme ça que je le vis. J'écris, vous êtes là. Vous pesez sur moi de toute votre présence. Vous me contredisez, m'obligez à infléchir mon propos, vous êtes agaçant, savez-vous ? Et stimulant, c'est vrai."
François Cavanna, "Puisqu'il faut une préface", in Je l'ai pas lu, je l'ai pas vu, mais j'en ai entendu causer - chroniques Charlie Hebdo, 1969-1981, éditions Hoëbeke, 2005)