Jim Harrison a dit (2) :
La poésie
"Son obsession la plus glaçante, qui durait depuis un demi-siècle, c'était d'être esclave du langage. Il avait lu Keats à quatorze ans et le couperet était tombé. La poésie devint sa drogue, il perdit sa liberté. (...) Quand il se mit à écrire aussi de la prose, il eut d'abord le sentiment de commettre un adultère.
Quand on se prétend poète, on ne peut pas couiner comme une petite souris ou marcher en minaudant comme une prostituée japonaise. Le problème, c'est qu'il faut se considérer comme un poète avant même d'avoir écrit la moindre chose digne d'être lue et, à force d'imagination, garder ce ballon égotique en état de vol.
René Char, un poète français qu'il adorait, avait dit à propos de la poésie : "Il faut être là quand le pain sort tout chaud du four." Il devait organiser sa vie pour être prêt à tout moment à recevoir le poème, quand bien même sa venue mettrait un mois ou deux.
La poésie a parfois ce genre d'effet. Soit on se retrouve au septième ciel, soit on barbote en pleine dépression. On pond un premier vers formidable, mais la pensée n'est pas assez puissante pour en enchaîner d'autres, et, au beau milieu de la création, les mots s'ennuient et se font la guerre. Nos carnets sont remplis de ces fragments, le shrapnel de nos intentions. La vie est pingre en conclusions.
Les comportements extrêmes constatés chez les poètes s'expliquent sûrement par ces tensions. Quand l'esprit passe autant de temps dans la fièvre, il crée certains dérangements."
Jim Harrison, Le Vieux Saltimbanque, éditions Flammarion, 2016.