Le Journal du Centre, dont la page Facebook reçoit régulièrement ce type de messages, a interrogé Laurent Gautier, professeur de linguistique appliqué à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté :
D’un point de vue historique, le phénomène est-il nouveau ?
Laurent Gautier. Non, le phénomène n’est bien sûr pas récent. Distinguons bien l’activité même (la diffamation, l’insulte) de l’utilisation des dispositifs sociotechniques que sont les réseaux sociaux. Je ferai deux parallèles historiques. Dans la presse, l’ancien courrier des lecteurs permettait à tout le monde de dire ce qu’il avait en tête. À la seule différence près qu’il était publié après intervention éditoriale. Ces posts peuvent aussi faire penser aux lettres de plainte qu’on envoyait aux institutions. Aujourd’hui, les opposants à la réforme du Collège manifestent, par exemple, directement leur désaccord sur la page Facebook de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale.
Quelle tribune offre les réseaux sociaux et quelle population s’en empare ?
L. G. Les réseaux sociaux donnent une impression de “no limit” aux non-professionnels. Cette participation citoyenne laisse penser à la population qu’elle co-construit une analyse avec le journaliste. Ils sont aussi une tribune pour toutes les déviances. À l’image de l’internet noir, utilisé par les mouvements terroristes et où circulent des choses bien plus abjectes que sur Facebook ou sur Twitter.
L’immédiateté des commentaires n’est-elle pas dangereuse ?
L. G. Ces messages délivrés à chaud ont tous le caractère de la communication orale. On écrit comme on le dirait. Et je ne parle pas des fautes d’orthographe. La parole a l’avantage qu’on peut revenir en arrière. Pas sur les réseaux sociaux. Les plus aguerris savent manier l’arobase et le hashtag. Le hashtag “Je suis Paris” est quelque chose de puissant. La force du message est démultipliée. Mais quand ces outils sont utilisés à mauvais escient…
Qu’est-ce que ces nouveaux modes de prise de parole nous disent sur la société d’aujourd’hui ?
L. G. D’une part, on note la recherche de la mise en scène de soi. Une anecdote. Bon nombre de personnes ont partagé, au moment des attentats de Paris, le statut “En sécurité” alors qu’ils n’y étaient pas. Ces manifestations révèlent des comportements égocentrés. D’autre part, la volonté d’une participation citoyenne à quelque chose qui nous dépasse est réelle. “J’ai mon mot à dire”.
Quelles pourraient être les conséquences pour les auteurs de commentaires à caractère raciste et autres ?
L. G. Indépendamment des textes juridiques que je ne maîtrise pas, la question de l’annonciateur premier se pose. A-t-on insulté lorsqu’on retweete une insulte ?
La presse doit-elle modérer sans cesse ou tout publier ?
L. G. La presse reste la presse. Elle a un rôle de modération. Car elle est le garant du processus rédactionnel et éditorial qui fait sa force par rapport au journalisme citoyen et sauvage. La plus-value de la presse reste son contenu.
Existe-t-il un écart entre ce que les gens prétendent vouloir et ce qu’ils seraient capables de faire ?
L. G. Derrière ces mots, se pose la question de la performativité (Fait de produire (prononcer, écrire) un signe qui produit en même temps l’action qu’il décrit). On observe la banalisation de tous ces énoncés utilisés comme des formules. Par exemple, le hashtag “Je te bute” existe. En les écrivant, on ôte leur côté performatif aux formules. Comme autant de mots signaux.
Propos recueillis par Alice Chevrier et Fanny Delaire
www.lejdc.fr - Impression de "no limit" sur la page Facebook du JDC : l'analyse des spécialistes