Pour fêter le beaujolais nouveau...

A l'occasion de la sortie du Beaujolais nouveau,

voici un petit extrait de L'Effleure du Mal,

roman publié en 2006, et qui n'est plus (pour l'instant !) réédité :

"... Donc, le mois de novembre, troisième jeudi du mois, le beaujolais débarque à Decize comme partout ailleurs ; c’est bien là son point commun essentiel avec le Dieu précédemment évoqué : partout à la fois au même moment. Certains sous-entendent que ce Bon Dieu-là, le Dieu des « Rouges », il est un peu frelaté, un peu seconde zone, un peu surfait quoi ! Une idole à la mode, qui fait un tube bien gras puis qu’on oublie jusqu’à la prochaine cuvée. On sacrifie au rite, on met sa belle casquette pour retrouver les copains au bistrot, on fait claquer la langue, on jette des coups d’œil complices au voisin qu’on ne connaît pas mais qui communie au même ciboire, et on commente. Ah, le commentaire… Essentiel, comme la liturgie et sa glose.

– Alors ?… s’enquiert le gargotier.

– Alors quoi ?…

– Alors, il sent quoi ? réitère le patron.

Et chacun de psalmodier :

– La banane !

– Un peu la grenadine, non ?…

– La poire, moi, je trouve.

– Oui, la poire, mais un peu la grenadine quand même, non ?

– Vous avez tout faux ! se rengorge le cafetier. À la radio, y z’ont dit : Fruits rouges, avec une pointe de réglisse.

Parce qu’une seule saveur, ça ne compte pas ; c’est ça, le succès du beaujolais nouveau : pour les petits amateurs, une saveur facile, et pour les connaisseurs, la nuance subtile qui vous fait admirer des bougnats.

– Dis donc, j’avais juste, la grenadine, c’est rouge !

– C’est un fruit qu’est p’tête rouge, mais il compte pas dans les « fruits rouges » !

– Quand même, c’est une belle invention, le beaujolais !

– C’est pas une invention, corrigea le cafetier en levant l’index, c’est une création. Nuance et respect !

Et tout au milieu de ces exégèses ferventes, une petite voix s’élève :

– Y serait pas un peu bouchonné, des fois ?…

Comme un seul homme, les dégustateurs se retournent vers le bout du comptoir, un avorton moustachu au cheveu dru et gris qui ose interrompre les officiants ! Vexé, le patron – qui n’a pas tellement envie de rouvrir une bouteille à l’œil – lui retire la soucoupe de cacahuètes.

– Le beaujolais, Môssieur, bouchonné ou pas, ça reste du beaujolais ! C’est que du fruit.

Le petit homme n’a plus qu’à payer son 12 centilitres, saluer hâtivement l’assemblée qui le toise avec mépris et rentrer chez lui en rasant les murs.

– Encore un Lyonnais ! lâche théâtralement le patron avec l’accent de Raimu.

Je n’ose pas lui répliquer qu’en matière de beaujolais, un Lyonnais est certainement plus habilité que lui ; quant à son vin, il est bien bouchonné, mais peu désireux de faire des vagues chez un tel mastodonte, je recolle mes lèvres à mon verre, assis à une table du fond du bar avec Esteban et le petit jeune en vis à vis.

Esteban attaquait son troisième beaujolais, l’air de rien ; la moustache humide, comme une future mariée chez le bijoutier. Mais quand un Commandant de gendarmerie boit, les civils dégustent..."

C'est que du fruit, on vous dit...

Comments

[vero blandin]

je l'ai emprunté à la bibliothèque il y a plusieurs mois et j'ai beaucoup aimé ! c'est quand la prochaine édition ?? bises véro