Umberto Eco a dit :
"Au fond, je crois que les éditeurs et les directeurs de télévision se trompent en pensant que le public a besoin de livres et d'émissions faciles, relevant du pur divertissement. Sur 7 milliards d'êtres humains, il en existe bien quelques millions qui réclament des activités et des expériences exigeantes. J'ai compris cela avec Le Nom de la rose. Mon éditeur américain pensait qu'il se vendrait à 3000 exemplaires : vous pensez, un livre avec des citations latines même pas traduites ! Or, il s'est vendu par millions. Et pas à New-York ou San Francisco, villes peuplées d'intellectuels, mais dans le Montana, le Nebraska, au Texas ! On croit les gens plus stupides qu'ils ne sont ; en France comme en Italie, on sous-estime le niveau d'exigence des lecteurs.
Je n'écris pas mes romans à partir d'un plan mais toujours à partir d'une image. Pour Le Nom de la rose, c'était un moine empoisonné ; pour L'Ile du jour d'avant, une île impossible à rejoindre, etc. Ensuite, je me crée des contraintes en intégrant dans mon histoire des choses dont je veux absolument parler alors qu'elles n'ont aucun apport avec le sujet.
J'ai beaucoup travailé sur la différence entre mentir et faire semblant. Raconter, ce n'est pas mentir, mais faire semblant. Au carnaval, je fais semblant d'être Buffalo Bill, mais si vous participez au jeu, vous faites semblant de croire que je suis Buffalo Bill. Le vrai mystère, c'est pourquoi on pleure sur la mort d'Anna Karenine alors qu'on sait que c'est un roman. Par quel mécanisme psychologique une histoire qu'on sait fausse peut susciter un sentiment aussi vrai ?"
Umberto Eco (propos recueillis par Jean-Christophe Buisson, pour Le Figaro magazine, 12 mars 2011)