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Le blog de Jean-Noël LEBLANC
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9 octobre 2008

Maurice Genevoix a dit

Maurice_Genevoix

"J'écris ces pages pendant nos jours de vacances, dans notre maison aux Vernelles. C'est une habitude prise, presque un automatisme. Depuis quinze ans, mes vacances sont devenues les jours de mon travail personnel. Toutes. Il y a réellement quinze ans que je n'ai pas eu de vacances.

Cette fois encore le réflexe a pris ma plume et me suis rivé à ma table. Mais c'est la première fois que je savoure mon libre arbitre, que je me dis avec délectation : "Si je voulais, je poserais cette plume. Je me lèverais, je suivrais mes pas là où ils voudraient m'entraîner : vers la berge de la Loire en crue qui décale sous mes fenêtres, énorme, charriant les arbres et les moutons d'écume, sous un ciel bleu-d'hiver que caressent, en oblique, de longues queues-de-chat rosies par le soleil couchant. Ou je trierais, pour les jeter sans doute car ils doivent avoir séché au fond du noir tiroir où je les ai abandonnés, mes vieux tubes de couleur à l'huile. Et demain, dès demain, j'irais à Orléans pour en refaire provision, luisants, replets, onctueux d'avance, éclatants, chatoyants et chauds à travers leur enveloppe d'étain. Ou encore...

Mais j'écris, j'écris. Si je m'interrompais exprès, j'aurais tout de suite mauvaise conscience."

Sylvie_Genevoix

Sylvie Genevoix : "Moi aussi, petite que j'étais et souvent tapie dans l'escalier, j'avais appris à guetter, à reconnaître, à deviner ce que faisait mon père derrière la porte close de son bureau : le crissement de sa plume sergent-major sur le papier - oui, il n'écrivait qu'à la plume, à la rigueur au stylo-plume trempé dans l'encre, jamais de cartouche - me disait qu'il écrivait ; quand l'encrier tintait fréquemment, c'était plutôt le signe qu'il dessinait, le tapotement de sa pipe sur le bord du cendrier en étain me disait qu'elle venait de s'éteindre, qu'il allait, après le raclement du cure-pipe, ouvrir son tiroir de gauche, sortir sa blague à tabac, bourrer sa pipe (...).

Quand par hasard j'avais le droit d'entrer, pour accéder, par exemple, au mercurochrome maternel quand je venais de me couronner un genou, ce que je voyais me fascinait bien plus que toutes mes supputations, si justes fussent-elles. Je voyais, "pour de vrai", ses livres en train de naître. Mon père ne les rédigeait que sur un papier bien particulier, filigrané, massicoté selon un format qui était le sien et chaque feuillet, recouvert intégralement de son écriture petite, élégante et extrêmement régulière, correspondait à un nombre de lignes très précis. (...) Peu à peu, il les voyait se noircir, et telle une brodeuse qui voit son ouvrage prendre forme, il pouvait contempler son roman prenant corps et commençant physiquement d'exister sous ses yeux. Autant dire qu'il n'était question ni de passer le balai, ni de faire le moindre courant d'air pendant les quelques mois que durait la gestation !"

Maurice Genevoix et Sylvie Genevoix, dans La Maison de mon père, éditions Christian Pirot.

Sylvie Genevoix sera présente au salon du livre de Decize, ce samedi 11 octobre 2008. Venez la rencontrer !

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"Très intéressante cette double lecture, double voix, cet échange de père à fille sans être un échange... c'est très beau.  Rébecca"

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