Binet a dit
"Il me faut trois semaines pour écrire le texte et trois jours pour faire les dessins. Tout commence par l'(authentique) angoisse de la page blanche. Au départ, j'ai le thème général de l'album. (...) A partir du thème général, je note des bribes d'idées qui vont dans toutes les directions. Au bout du compte, quelquefois au bout de dix à quinze jours, je découvre un tronc commun qui va être le lien de l'histoire sur lequel tout va se focaliser. L'histoire a un fil conducteur et devient logique. Tant que je n'ai pas trouvé ce catalyseur, les tourments m'assaillent. Alors commence l'élaboration des dialogues. D'abord je consigne des fragments de conversations. Je transcris l'histoire le plus tard possible pour ne pas la figer trop tôt. Suivant mon canevas, j'affine mon dialogue au maximum. (...) Quand les dialogues me paraissent devoir être définitifs, je me mets au dessin.
Un prix ne m'apporte pas grand chose. J'ai une opinion relativement négative sur le sujet : ce genre de récompense ne devrait pas exister, la seule vraie récompense étant le succès auprès du public. Pour un heureux lauréat, on fait dix malheureux et cent aigris.
Les dessinateurs de BD devraient arrêter de se "prendre la tête". Un artiste, dans n'importe quel domaine, ne se lève pas en se disant : "Aujourd'hui je vais faire une oeuvre d'art." Il va tout simplement s'exprimer et par la même occasion essayer de gagner sa pitance. On a tendance à oublier que Molière écrivait ses pièces sur commande et que sa démarche était avant tout alimentaire.
Quelques instances reconnues essaient d'ériger la BD en art officiel, jugeant des voies qui sont bonnes et estimables (sous-entendu dignes de l'art) et celles qui sont haïssables. (...) Il n'appartient pas à une intelligentsia (factice) d'enfermer la BD dans un ghetto. Les modes tuent l'art et l'expression en les sclérosant. (...) La BD est encore un bébé et déjà on essaie de lui enfiler un pantalon alors qu'elle a une seule envie : courir partout le cul nu !
Dans les premières histoires, mes personnages étaient très caricaturaux comme, par exemple, ce compagnon de régiment, vulgaire, nostalgique du baroud... qui rend visite à Robert. Je pensais alors que notre société était composé d'un certain nombre de cons incurables et irrécupérables. (...) Je pense aujourd'hui que le con intégral est plus rare que je ne le pensais autrefois."
Christian Binet (in Binet, Portraits de famille, par Jean-Paul Tibéri, éditions Jean-Cyrille Godefroy, 1991)