Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de Jean-Noël LEBLANC
Newsletter
16 abonnés
9 juin 2020

"La fin du narratif des Lumières" (à propos de George Floyd)

Logo BE without name.pngC'est une tribune de membres du groupe "Black Elephant" que je découvre ce matin sur le site de Libération.

En voici quelques extraits (vous trouverez le lien à la fin, pour en lire l'intégralité)

"Tribune. Le soulèvement mondial que suscite le meurtre de George Floyd n’est pas le premier phénomène mondial de l’après-pandémie, comme certains l’interprètent. Non, nous ne sommes pas « passés à autre chose ». Ce qui se passe en ce moment aux États-Unis est ce qui arrive lorsque le racisme, l’inégalité et l’injustice structurels sur lesquels ce pays a été fondé se retrouvent multipliés par un facteur de… Covid-19. L’exceptionnalisme américain ne convainquait plus grand monde. Une fois pour toutes, le roi est nu.

Le monde entier n’est pas ému par hasard. Nous venons de passer plusieurs mois, plus ou moins hébétés, à tenter de comprendre en quoi cette pandémie « change tout ». Voici un début de réponse. En nous contraignant d’admettre une fois pour toutes que ce qui se passe à l’autre bout du monde est bien « notre problème » à tous, la pandémie et le confinement auquel elle a donné lieu ouvrent une nouvelle ère qui change nos perceptions du passé, du présent et de l’avenir.

George Floyd n’est pas uniquement un martyr américain mais un martyr de la condition des personnes catégorisées noires. Et non, ni le racisme et les discriminations ni la colonisation des esprits ne sont des sujets du passé. Dans les pays industrialisés, les opposants aux populistes et leurs soutiens aiment prétendre que le prisme colonial est l’apanage des Trump, Le Pen et autres Johnson. La réalité est que la modernité, le progressisme et le cartésianisme sont infusés de colonialisme.

La façon dont le monde vient de cesser de tourner parce qu’Européens et Nord-Américains ont pris soudainement conscience de leur mortalité du fait de la menace pesant sur une infime partie de leurs aînés est en elle-même révélatrice de ce prisme colonial. Le nombre de morts du paludisme, de la diarrhée, ou de la violence endémique liée à l’extraction annuelle de terres rares et de métaux contenus dans nos smart phones et tablettes, est sans commune mesure avec le nombre de victimes du Covid. Un reportage télévisé nous interpelle, nous émeut parfois. Et puis nous passons à autre chose, comme on pose un bon roman. Mais pour l’essentiel des humains, cette fiction porte un autre nom: le quotidien.  (...)

Prétendre que la colonisation des esprits est un problème du passé sous prétexte que la colonisation a pris fin il y a cinquante ou soixante ans est une vue de l’esprit. Prétendre que le péché originel du capitalisme mondialisé né dans des usines de Manchester et Liverpool grâce à des récoltes dont la confiscation mena des millions de paysans indiens et chinois à la famine est aujourd’hui hors sujet parce qu’il date de l’époque victorienne est intenable.

Prétendre que l’étalon adéquat pour mesurer et décider de ce qui est désirable pour la planète, sa faune et sa flore, se limite à ce qui est arrivé essentiellement en Europe et en Amérique du Nord depuis les révolutions scientifique et industrielle, démontre que l’humanisme est devenu une forme de folie anthropocentrée et géocentrée.

Il faut entendre, enfin, la masse multicolore ou métissée qui s’exprime dans les manifestations pour dire d’une seule voix «je ne peux plus respirer ce monde tel qu’il est devenu». Il faut que les esprits éclairés qui, de bonne foi, prétendent démontrer preuves à l’appui, que depuis les Lumières, bon an mal an, la condition humaine s’améliore, prennent conscience du racisme intrinsèque de cette vision du monde. Et il faut que la minorité d’humains les plus privilégiés cessent de penser qu’ils incarnent cette condition.

(...) #BlackElephant proposera ainsi l’année prochaine un sommet géosocial (incluant des représentants de communautés locales, transnationales et indigènes) co-convenu par la France, les pays nordiques et le Sénégal et associant des acteurs des 5 continents pour contribuer à cette nouvelle conversation et cette nouvelle dynamique mondiales.

Pour que ce rendez-vous de l’histoire prenne tout son sens, il faudra cesser de prétendre que le sud et le nord ne sont plus dans un rapport de force, que le colonialisme et le racisme se conjuguent au passé et que l’effondrement climatique et civilisationnel est une menace potentielle dans un futur lointain et non pas d’ores et déjà un fait pour bon nombre d’entre nous. Il n’y a rien de constructif à trouver une «solution rapide» à des phénomènes et des rapports toxiques antédiluviens. Il faudra résister à la tentation de vouloir passer à autre chose parce que la réalité est complexe, inconfortable, voire insupportable.

Pour aborder un futur souhaitable par et pour tous, nous constatons et comprenons qu’une certaine manière de vivre, désormais globalisée, produit une injustice universelle. Partant de là, nous devons nous réconcilier, délibérer et bâtir un monde en commun, en prenant le parti de nous faire confiance, de nous soutenir mutuellement et de combiner les ressources immatérielles qui ont façonné l’équilibre entre l’homme et la nature. Le temps est venu pour de nouveaux narratifs en provenance de l’hémisphère Sud. Pour paraphraser le proverbe africain, «tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse n’auront de cesse de chanter la gloire du chasseur».

«Etre français, c’est précisément prendre en considération autre chose que la France», disait Gombrowicz. Il est temps que l’humanisme prenne en considération autre chose que l’humain et en particulier l’humain tel qu’il est conçu par l’occident et la modernité. L’ère nouvelle et les crises en cascade qu’elle nous promet rendent nécessaire cette nouvelle conception de l’humanisme. Elle nous invite à faire preuve d’humilité et d’abnégation. Nous ne savons pas où nous allons mais nous savons désormais où nous ne voulons pas aller."

Les auteurs : Rebecca Enonchong, Felix Marquardt, Safia Otokoré, Jean-Manuel Rozan, Keita Stephenson, Karim Sy et Emmanuella Zandi

La fin du narratif des Lumières - Libération

Publicité
Commentaires
Le blog de Jean-Noël LEBLANC
  • La petite vie et la grande œuvre de Jean-Noël Leblanc ! Avec des perles de lycéens, des vaches de profs, des chats peinards, des copains hilares, à boire, à manger, à chanter, à voir, à rêver, à lire, à rire, à sourire. A vivre mieux, peut-être !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 1 437 601
Publicité