Jean Dutourd a dit (2) :

"Roman
Aller très vite au début, dans l'exposition, où on peut abréger tant qu'on veut sans crainte de paraître sommaire, puisqu'on met les choses en place. Aller très vite à la fin, puisque tout s'emboîte automatiquement. C'est dans l'entre deux qu'il faut être lent et détaillé, pour ne pas paraître long.

Quand j'écris un livre, je m'y promène comme dans une forêt très touffue, avec des spectacles imprévus, des correspondances bizarres, des chansons d'oiseaux qui viennent des buissons, des choses qui s'expliquent chemin faisant, des clairières, tout à coup des avenues.

Quand on écrit un livre, on entre dans un monde dont il ne faut pas sortir avant le mot FIN.

N'écrire que ce que j'ai envie d'écrire. Sauter tous les détails qui m'ennuient. M'étendre au contraire longuement sur ce qui m'amuse ou m'inspire. Voilà ce que je me dis chaque fois que je commence un livre. Je prends aussi la résolution de raconter en désordre, à mesure que les choses viennent. Enfin, je projette de n'écrire que ce qui est nécessaire, sans un mot de trop, sans une transition superflue (mais quelle transition n'est pas superflue ?). Ces projets ne se réalisent jamais. Il y a un mouvement dans l'écriture qui fait que l'on compose malgré soi et qu'un ordre s'établit. (...) Le livre vous a échappé !

Qui m'aime aime mon chien, disent les vieilles filles. L'auteur dit : qui aime mes livres m'aime, qui déteste mes livres me déteste. La critique est insupportable ; en effet on met dans un livre le plus intime de soi, à savoir la musique. D'où il suit que presque toujours la critique est une affaire de peau. Il y a dans la critique actuelle vingt personnes à qui je donne de l'urticaire et qui se plaignent d'être obligées de se gratter. Le critique sérieux est un homme qui  la peau aussi dure qu'un artiste, une peau réfractaire à l'urticaire."

Jean Dutourd, in Carnets d'un émigré (Flammarion, 1973).