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Le blog de Jean-Noël LEBLANC
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7 septembre 2017

Amélie Nothomb a dit :

"Je ne serais pas arrivée là si... Si je n’avais pas été insomniaque de naissance. C’est la conclusion à laquelle je suis parvenue après avoir beaucoup réfléchi à ce début de phrase absolument fascinant. Oui, cette insomnie a été constitutive et certainement ce qui a le plus compté dans ma vie. Elle a toujours existé, même lorsque j’étais bébé et même si mes parents ont mis un temps fou à s’en apercevoirIls ne se sont pas inquiétés, je crois même qu’ils pensaient que je dormais les yeux ouverts. Ce qui était faux. Je ne dormais pas, je m’en souviens très bien.

Et puis, vers 2 ans et demi, je me suis comme réveillée – ce qui est paradoxal – en captant de courts cycles de sommeil. Mes parents ne se sont toujours rendu compte de rien jusqu’à ce qu’ils découvrent, quand j’avais environ 5 ans, que je me baladais la nuit dans la maison. Et puis je répondais aux voix que j’entendais. Il y en avait des centaines dans ma tête et je leur parlais.

Enfin, je me racontais l’histoire. Pas « des histoires » mais « l’histoire ». Ce fut la grande occupation de mes années 5-12 ans. Me raconter « l’histoire » : une sorte d’épopée qui partait dans tous les sens et pleine de personnages fluctuants, l’idée étant de me faire connaître les sensations les plus fortes possible. Ce pouvait être l’aventure de deux enfants abandonnés qui devenaient cosmonautes. Ou celle du méchant prince torturant la gentille princesse…

 

J’étais tous les personnages à la fois : les enfants abandonnés, le méchant prince, la gentille princesse… Je me racontais l’histoire – j’étais donc le locuteur et le public – et ça marchait très bien. J’attendais la nuit avec impatience. Et mes parents, qui se félicitaient d’avoir une enfant sage, ignoraient que si j’insistais tellement pour aller me coucher tôt, c’était parce que l’obscurité et l’enveloppe des draps étaient propices à « l’histoire ». Hélas, à 12 ans, mon système s’est lézardé, le récit s’est arrêté tout net. Je pense que si je suis devenue écrivain, c’est en grande partie parce que je ne parvenais plus à me raconter « l’histoire » dans ma tête. Il me fallait désormais un intermédiaire – ce sera le papier – pour permettre de la fixer. C’est ainsi que « l’histoire » est devenue « des histoires ».

 

Je n’ai pas écrit une ligne avant 17 ans. Sauf des lettres. Depuis l’âge de 6 ans, j’avais l’ordre parental, ainsi que mon frère et ma sœur, d’écrire une fois par semaine à notre grand-père qui habitait Bruxelles. Nous recevions chacun de grandes feuilles blanches, de format A4, qu’il fallait absolument remplir et c’était un vrai casse-tête, même si je m’appliquais à écrire grand. « Raconte-lui ta vie ! », encourageait ma mère. Je pense que si j’ai développé ce que j’appelle le sens de l’autre, c’est en partie à cause de cet exercice périlleux. C’était un dialogue avec l’inconnu, très différent de l’histoire que je me racontais la nuit.

 

Lorsque nous étions enfants, c’est ma sœur qui écrivait. Des histoires, des poèmes, des pièces de théâtre. Elle était géniale et admirée de tous. De moi d’abord, qui la lisais avec vénération et la considérais comme une divinité. Mais aussi de mes parents et de nos professeurs car ses pièces étaient jouées par les filles de l’école. Lorsqu’elle a arrêté d’écrire à 16 ans, j’ai attendu quelque temps, pensant qu’elle allait peut-être recommencer.

Et puis j’ai découvert Rilke et ses Lettres à un jeune poète. J’avais 17 ans et ce fut une illumination. L’acte d’écrire m’est soudain apparu à la fois accessible et puissant. Je dirais même vital. Et miracle : l’ancien récit a repris sous forme écrite. J’ai entamé mes premiers manuscrits.

 

J’écrivais déjà comme une forcenée, mais il faudra que j’écrive une dizaine de livres avant d’oser présenter le onzième – Hygiène de l’assassin – à un éditeur, avec les conséquences que l’on sait. Les premières années, ma sœur adorée était ma seule lectrice.

 

L’anorexie était une épreuve, car il fallait se battre. Ce qui m’est arrivé à 12 ans était une dégradation. Et la dégradation demeure à tout jamais. Elle explique cette fragilité immense qu’il me faut vaincre tous les matins et la nécessité vitale d’écrire qui en résulte. Tous les matins, je dois me battre. Et tous les matins, tout est à recommencer. Car les forces obscures sont toujours en moi.

 

Moi qui n’ai volontairement pas eu d’enfant, si ce n’est beaucoup d’enfants de papier – car je tombe « enceinte » de chaque livre –, j’aurais pu dire : je ne serais pas arrivée là si, petite fille, je n’avais pas été aussi folle d’amour pour ma mère.  Je ne cessais de lui dire et redire : « Maman, je t’aime. Maman, aime-moi ! » Elle répondait : « Mais je t’aime, je t’aime ! » J’insistais : « Oui, mais aime-moi encore plus ! » Elle a fini par me dire cette chose énorme, lorsque j’ai eu 9 ans : « Si tu veux que je t’aime encore plus, eh bien séduis-moi. » Je me suis récriée : « Mais enfin, tu es ma mère, c’est ton devoir de m’aimer ! » Elle a tranché, elle pourtant si gentille je vous l’assure : « Ça n’existe pas l’amour obligatoire ! » Et je lui donne raison. Elle m’a armée avec cette réponse."

 

Amélie Nothomb, propos recueillis par Annick Cojean pour Le Monde.

 

 

Allez lire l'intégralité de cet entretien sincère et bouleversant dans lequel Amélie revient sur ses traumatismes :

« Je suis le fruit d’une enfance heureuse et d’une adolescence saccagée »

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Commentaires
F
C'est ma chanson de mes nuits.. 😉😊😄
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F
Pffffff ben non Mon Jean-No....c'est pas intéressant....y en a déjà des millier 😣😣
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F
Mes nuits sont remplies d'insomnies.....mais je ne suis pas Amélie Nothomb...et rien ne sort de ces heures qui défilent sauf des idées sombres....peut être qu'un jour....il faut que je me dépêche... vu mon age... :D :D :D
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V
De lire ton article m'a bouleversée , pour des tas de raisons .. et confirme que j'adore cette femme !! merci Jean-Noël bises
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  • La petite vie et la grande œuvre de Jean-Noël Leblanc ! Avec des perles de lycéens, des vaches de profs, des chats peinards, des copains hilares, à boire, à manger, à chanter, à voir, à rêver, à lire, à rire, à sourire. A vivre mieux, peut-être !
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