Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de Jean-Noël LEBLANC
Newsletter
16 abonnés
30 juillet 2016

Deux fils d'Audiard parlent de leur père (2) :

Résultat de recherche d'images pour

Jacques Audiard, fameux cinéaste, et Bruno M. , devenu auteur : deux fils de Michel Audiard.

Dans les interviews qui suivent, ils évoquent leur père et leurs relations pas toujours simples avec ce génie compliqué...

Jacques :

Résultat de recherche d'images pour "Mon père était un autodidacte qui s'est formé par la ­littérature. Les livres étaient donc là. Autour de moi. Partout. Des Série Noire cartonnés aux éditions originales de Marcel Proust ou de La Chartreuse de Parme. Les écrivains de droite : Nimier, Perret, Blondin... Mon père était un grand bibliophile. Les auteurs qu'il aimait, il essayait toujours de les trouver dans des éditions rares, sur de beaux papiers. Il avait beaucoup de beaux ouvrages de poésie, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé rehaussé par Rodin. Il n'en reste rien. Tout a été englouti par le fisc. Les huissiers, c'est des gens que je connais. Mon père était immensément riche, mais il a tout dépensé. C'est pas plus mal. Ces choses-là ne sont pas faites pour durer.

La transmission s'est faite de manière naturelle. Il m'a d'abord permis de trouver ces livres et, ensuite, d'en parler. Quand j'avais ­12-13 ans, nous étions dans une proximité affectueuse. Je l'écoutais réciter des poèmes de Verlaine — « L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable. » Il avait une mémoire prodigieuse. Des vers, il pouvait en dérouler à l'infini. Cette culture n'avait toutefois rien d'écrasant. Elle ne tenait pas de l'approche magistrale, mais plutôt d'une connaissance fondée sur le plaisir, le désir, un incroyable éclectisme.

Ma mère me protégeait de mon père. C'est-à-dire du cinéma. (...) Mon père considérait le cinéma comme un ­métier, et la littérature comme un art. La reconnaissance sociale qu'apportait ce milieu n'avait pas beaucoup d'attrait pour moi, elle m'était presque insupportable. J'adorais mes parents, mais je suis passé par une phase de détestation de tout ça. C'est sans doute aussi la raison pour laquelle je me suis senti attiré par la philosophie et la littérature : je cherchais des issues, je ne voulais pas faire le même métier que mon père et j'ai mis beaucoup de temps à accepter l'idée que le cinéma est un mode d'expression. Il faut dire que mon père entretenait une relation très cynique avec le cinéma, quelque chose d'un peu lourd et agressif, une ironie très développée, dans laquelle il s'est un peu enfermé.

Quand j'ai été en âge de réfléchir vraiment, il est sûr que je ne partageais plus du tout le cynisme de mon père. Je l'adorais, je me marrais énormément avec lui, et il était très loin d'être un idiot. Je trouvais que le cinéma était une activité artistique qui méritait qu'on s'y intéresse vraiment. Je pense que son cynisme venait d'une absence d'intérêt réel pour le cinéma. C'est dur ce que j'avance là, mais c'était presque une position par défaut. Qu'il ne se serait jamais autorisée avec la littérature.

Son travail de réalisateur correspond à une très mauvaise période de sa vie, mais c'est vrai qu'il aurait pu mettre son écriture au service d'autres auteurs. J'avais une immense admiration pour son travail de scénariste, pour son talent d'écriture, sa capacité à faire naître des personnages... J'aimais le voir à l'œuvre, installé à son bureau, écoutant Berlioz. Il m'a appris qu'écrire était une pratique illuminée mais prosaïque. Il faut se mettre à une table et y passer des heures.

Résultat de recherche d'images pour Il m'était arrivé d'intervenir sur les films de mon père. Parfois, il avait besoin d'un collaborateur et je lui donnais un coup de main pendant les vacances. Je lui servais de sparring-­partner. Ça m'amusait. Notre collaboration sur l'adaptation du roman de Marc Behm, Mortelle randonnée, réalisée par Claude Miller, a été un moment important. C'était une expérience très singulière. Une manière de communiquer avec mon père. Il avait beaucoup aimé ce livre, qui parlait d'un père en quête de son enfant, et il en avait acheté les droits. Mon frère, François, était mort quelques années plus tôt dans un accident de voiture  et il en avait été très affecté. De la mort de mon frère à la sienne, sa vie a été une sorte de dégringolade. Le scénario de Mortelle Randonnée parlait beaucoup de ça. D'un sentiment très fort de solitude paternelle. Nous avons travaillé sur l'écriture, le temps d'un été, très librement, sans producteur ni réalisateur. Juste lui et moi. Nous nous retrouvions autour de ce sujet. Mais nous parlions peu de nous. Mon père ne se confiait pas. Il était de ceux qui communiquent peu avec leur progéniture, qui ne témoignent pas de leur affection. Dans l'écriture, nous trouvions une interface."

Jacques Audiard, propos recueillis en 2005 pour Télérama :

“Mon père entretenait une relation très cynique avec le cinéma”

Publicité
Commentaires
Le blog de Jean-Noël LEBLANC
  • La petite vie et la grande œuvre de Jean-Noël Leblanc ! Avec des perles de lycéens, des vaches de profs, des chats peinards, des copains hilares, à boire, à manger, à chanter, à voir, à rêver, à lire, à rire, à sourire. A vivre mieux, peut-être !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 1 438 704
Publicité