"Le Pianocktail" de Boris Vian
La musique est un nectar.... et pas que pour l'oreille !
Dans son roman L’Ecume des jours, Boris Vian décrit un curieux instrument, le "Pianocktail". Voël Martin, musicien et inventeur, a fabriqué le piano et son mécanisme, et nous en explique le fonctionnement :
"Un instrument mythique qui crée une passerelle entre goût et son. Chaque note est reliée à un tube, son enfoncement provoque un goutte à goutte du liquide. Le mélange se fait à vue permettant à l'interprète de doser visuellement son cocktail..."
Sur son site, Voël Martin et sa Compagnie La Rumeur proposent leurs services :
"A la fois concert et piano-bar, le pianocktail est un spectacle, une animation et un clin d’œil à déguster pour tout événement officiel ou fête officieuse. Les deux expérimentateurs musiciens expliquent le fonctionnement, font de la musique, et invitent les gens à fabriquer eux-mêmes leur cocktails et tout se termine autour d'un verre."
Modalités du spectacle, prestations, coût, sur le site :
http://www.larumeur.eu/les-spectacles/fiche-spectacle-pianocktail.html
Dans son émission de La Boîte à musique, Jean-François Zygel a reçu le concepteur de l'instrument pour une démonstration en un subtil cocktail de musiques :
En version originale dans le roman de Boris Vian :
« Prendras-tu un apéritif ? demanda Colin. Mon pianococktail est achevé, tu pourrais l’essayer.
- Il marche ? demanda Chick.
- Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir, de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.
- Quel est ton principe ? demanda Chick.
- A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Selbtz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral.
- C’est compliqué, dit Chick.
- Le tout est commandé par des contacts électriques et des relais. Je ne te donne pas de détails, tu connais ça. Et d’ailleurs, en plus, le piano fonctionne réellement.
- C’est merveilleux ! dit Chick.
- Il n’y a qu’une chose gênante, dit Colin, c’est la pédale forte pour l’oeuf battu. J’ai dû mettre un système d’enclenchement spécial, parce que lorsqu’on joue un morceau trop « hot », il tombe des morceaux d’omelettes dans le cocktail, et c’est dur à avaler. Je modifierai ça. Actuellement, il suffit de faire attention. Pour la crème fraîche, c’est le sol grave.
- Je vais m’en faire un sur Loveless Love, dit Chick. Ça va être terrible.
-Il est encore dans le débarras dont je me suis fait un atelier, dit Colin, parce que les plaques de protection ne sont pas vissées. Viens, on va y aller. Je le règlerai pour deux cocktails de vingt centilitres environ, pour commencer.
Chick se mit au piano. A la fin de l’air, une partie du panneau de devant se rabattit d’un coup sec et une rangée de verres apparut. Deux d’entre eux étaient pleins à ras bord d’une mixture appétissante.
- J’ai eu peur, dit Colin. Un moment, tu as fait une fausse note. Heureusement, c’était dans l’harmonie.
- Ça tient compte de l’harmonie ? dit Chick.
- Pas pour tout, dit Colin. Ce serait trop compliqué. Il y a quelques servitudes seulement. Bois et viens à table. »
Boris Vian, L'Ecume des jours, 1947.