"Ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue"

En ce jour de Noël, feuilletons ensemble Le Monde Magazine de novembre 2010 : dans son dernier essai, De la pharmacologie, paru chez Flammarion, le philosophe Bernard Stiegler s'intéresse à ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue.

Oserez-vous lire le constat pessimiste qu'il fait de notre société ?

"En 1919, après la Grande Guerre, Paul Valéry écrit que nous autres, civilisations, savons désormais que nous sommes mortelles. Un siècle plus tard, nous qui ne sortons d'aucune guerre mondiale savons que nous pourrions nous autodétruire. Ce sentiment de fin du monde se double d'une impression tragique d'impuissance à mesure que s'accumulent les échecs tel celui de Copenhague. Nous avons l'impression que nous ne pouvons pas arrêter le processus de dégradation.(...) Le modèle de développement de la fin du XXe siècle est devenu toxique, mais nous ne voyons pas comment l'arrêter. Personne ne sait comment en sortir : avec ce sentiment planétaire d'impuissance, et le ton apocalyptique qui l'accompagne, tout ce qui semblait positif se renverse en son contraire.

Tout le système repose sur la fabrication de marchandises sans réelle valeur d'usage parce que sans durabilité. Pour que la consommation continue et que les usines tournent, on a voué tout ce qui constituait le monde à devenir déchet, êtres humains compris (...). La jetabilité résulte d'un devenir pulsionnel du consommateur et du spéculateur. Le consommateur voit son énergie libidinale (son désir) canalisé vers les objets obsolescents. Ces objets ne sont pas investis : ils sont détruits, (...) ce que l'Autrichien Joseph Schumpeter appelait la "destruction créatrice" et qui a conduit à une obsolescence structurelle et chronique des marchandises. (...) Les hommes, les employés, les contrats de travail, les conjoints, et jusqu'aux produits financiers, sont "poubellisés". Ce modèle toxique, qui pollue les environnements aussi bien physiques que mentaux, a installé une infidélité systémique, c'est à dire un désengagement et un désinvestissement généralisés.

L'enjeu est d'organiser le dépassement du court terme par le long terme."

Propos recueillis par Frédéric Joignot

Ce qui fait que la vie vaut d'être vécue ? Voilà qui me rappelle instantanément un film de Woody Allen. Je file dans ma bibliothèque -en fait, j'allonge simplement le bras- pour happer l'opus 9-10-11-12, Solar éditeur (acheté à La petite maison pendant mes années Fac à Dijon). Le souvenir en est resté vivace, et je retrouve ce dialogue de Manhattan (1979) :

"Bon alors pourquoi la vie... vaut-elle d'être vécue ? Ça, c'est une bonne question. Bon... certaines choses font que... Je crois qu'elle vaut la peine d'être vécue... Lesquelles ? Allons-y... Pour moi...je commencerais par... Groucho Marx... une chose parmi d'autres... et Pelé le footballeur et...le... second mouvement de la Symphonie Jupiter ?... et Louis Armstrong... dans l'enregistrement de Potatohead Blues... les films suédois... cela va de soi... L'Éducation sentimentale de Gustave Flaubert... Marlon Brando... Frank Sinatra... ces époustouflantes... pommes et poires de Cézanne... le crabe chez Sam Wo's... le visage de Tracey..."

Entre nous, dites-moi, chacun d'entre vous , n'en avons-nous pas de pleines brassées, de ces raisons qui font que la vie vaut la peine d'être vécue ?

Allez,

Joyeux Noël à tous !