Alexandre Dumas a dit :
"Avez-vous remarqué ceci : Tous les peintres aiment la musique, tandis que tous les poètes, ou la
détestent, ou la comprennent mal (...).
Essayons d'expliquer ce fait.
La peinture et la musique sont deux arts essentiellement sensuels. (...) La
musique entre par les oreilles et chatouille les sens. La peinture entre par
les yeux et réjouit le cœur. C'est la peinture et la musique qui sont sœurs, et non pas, comme le dit
Horace, la peinture et la poésie.
Nous dirons pourquoi la peinture et la poésie ne sont pas sœurs.
C'est que la peinture est égoïste.
La poésie décrit un tableau : elle n'aura jamais l'idée d'y rien changer, d'en
altérer les lignes, d'en transformer les personnages.
La peinture traduit la poésie : elle ne s'inquiète ni des traits arrêtés, ni
des costumes traditionnels, ni des contours tracés par la plume.
Plus le peintre sera grand et individuel, plus la traduction s'éloignera de
l'original.
Maintenant, pourquoi les poètes sont-ils si froids à l'endroit de la musique,
qu'ils se contentent de ne pas la craindre, quand ils ne la haïssent pas ?
Ce sera encore plus simple que ce que je viens de vous expliquer.
La poésie n'aime pas la musique, parce qu'elle est elle-même une musique. Quand
la poésie a affaire à la musique, elle n'a donc point affaire à une sœur, mais
à une rivale.
En effet, que la musique fasse les honneurs d'une partition à la poésie, sous
prétexte de donner l'hospitalité à la poésie, elle la conduira dans le château
de Procuste ; elle la couchera sur son lit, c'est-à-dire sur un véritable
échafaud. Les vers qui seront trop courts, elle les tirera, au risque de les
disloquer, jusqu'à ce qu'ils aient la longueur voulue.
Les vers qui seront trop longs, elle les rognera, au risque de les estropier,
jusqu'à ce qu'ils soient raccourcis à sa convenance. Elle aura besoin d'une
syllabe en plus, elle l'ajoutera."
Alexandre Dumas, Poètes, peintres et musiciens.