Jean Dutourd a dit :
Jean Dutourd (propos recueillis sur www.canalacademie.com )
"La chronique est un art qui tient du lancer de la grenade et de l’introduction du suppositoire. Je veux dire par là qu’il faut bien viser, afin que l’engin qu’on envoie éclate à la place exacte où il doit éclater, et fasse tous les dégâts souhaitables. Quant à l’introduction du suppositoire, c’est une manœuvre tout aussi délicate et qui ne demande pas moins de doigté. Cela consiste à aborder le sujet de biais, de la façon la plus anodine possible, et à arriver par une gradation presque invisible à énoncer en queue d’article une chose énorme qui, dite d’entrée, aurait paru choquante ou ridicule.
Il est émouvant pour un auteur de voir quelques-uns de ses livres réunis en volume : il a l’impression d’être mort, ce qui est le comble du chic en littérature.
Il y a trente ans, je lus ceci dans la Correspondance de Voltaire : « Je m'arrêterais de mourir s'il me venait un bon mot ou une bonne idée. » Cette réflexion m'éblouit. Je traversais justement une de ces périodes où l'on se sent mourir parce que l'on a l'esprit stérile et vide. J'avais grand besoin moi aussi qu'il me vînt un bon mot ou une bonne idée afin de ressusciter. Bref, j'ai passé ma vie à m'arrêter de mourir parce qu'une petite pensée ou une plaisanterie me tombait du ciel inopinément, et me montrait, à ma grande surprise, que je n'étais pas tout à fait sans vie. Cette petite pensée était une hirondelle : non qu'elle annonçât le printemps, mais le seul fait qu'elle fût là me révélait que la sève circulait toujours dans l'arbre gelé. (...) Pendant trente ans, je suis sorti plusieurs fois du tombeau, lequel, après tout, est assez supportable à condition de s'en évader de temps à autre.»