Mon ami le cochon (4)
"Le cochon est comparable aux génies, qui ne sont honorés qu'après leur mort." Vincenzo Tanara
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C
le Cochon
Quelle est la plus belle incarnation de la couleur Rose ? La fleur que chante Ronsard en son jardin ? Non ! C’est le cochon, qu’adulent les vrais poètes.
J’aime le cochon, je le chéris, je le vénère, je l’idolâtre.
Tiens, même, c’est l’animal qui m’attendrit le plus, après le chat et les enfants. Mais pas pour son être, pas pour ce qu’il est, gros machin plein qui peine à se retourner comme si Bibendum avait le torticolis.
Les trois petits cochons qui se débattent pour échapper aux griffes du Grand Méchant Loup, je m’en fous.
Les tirelires qu’on fracasse à grands coups de marteau, je m’en fous.
Le couinement horrible du porc qu’on charge pour l’abattoir, je m’en fous.
Babe qui doit lutter pour prouver qu’il peut garder le troupeau à la ferme au cinoche, je m’en fous.
Ne m’offrez pas comme à Jean-Claude Dreyfus des représentations multiples de l’animal fangeux ; à la limite Piggy la cochonne, qui me rappelle une camarade de lycée, mais les bibelots rôsatres et rondouillards de lard sur pattes hilare, je m’en fous.
Je m’en fous, je m’en refous, je m’en contrefous, je m’en triplefous.
A vrai dire, le porc m’indiffère, mais le cochon m’émeut. Comprenez ? L’animal, méga-Bof, mais ce qu’on en fait, suprême YES ! Je m’en suce les doigts, je m’en lèche les babines, ma glotte tressaille, mes lèvres s’humidifient et mon estomac se prépare. Car le cochon, qu’est-ce, sinon « un prévis de tripes, un devenir de rognons, un demain de boudin » ? (J Van Langhenhoven). Côte de porc, travers, ventrêche, lardons, saucissons, jambon blanc, jambon sec, jambon fumé, andouille de Vire, fromage de tête… Me voilà Grand Porcivore, Terreur des bauges, Liquidateur de cochonnailles ! Et gloire au Charcutier, dont la science transfigure l’épais animal en mets divins, comme l’alchimiste transmute le plomb en or, ou le maquilleur, la vieille actrice en jeune première.
Dans le bouquin de Dreyfus, Gérard Oberlé affirme avec raison que « les fables de saucisson et de belles marchandes sont des histoires d’amour, et en amour, on n’oublie jamais la première fois. » Je n’ai pas oublié ma Première fois avec une « belle marchande », mais mon premier saucisson se fond dans les scissures de mon cerveau. Faut m’accorder les circonstances atténuantes, j’ai grandi parmi les boyaux garnis séchant, délicieuse et délicate odeur de moisi, ma Madeleine de Proust à moi…
Elevé au saucisson et au Saint-Véran, pouvais-je devenir autre que je ne suis ?