Morceau choisi...
Le Jour du Saigneur
« … La cuisine sentait le sang, l’odeur du boudin de ma jeunesse, quand mon grand-père saignait le cochon dans la cour de la ferme où je passais l’essentiel de mes vacances. Je revois le couteau à large lame, j’entends le frottement sur la couenne, avant que ne pisse le sang giclant sur mes sandales. Je me souviens du rire joyeux de Grand-Père, des protestations de Grand-Mère contre ce spectacle épouvantable infligé à un enfant. Et puis les différentes étapes de la découpe du porc, les côtelettes que l’on sépare au tranchoir, la confection du boudin, le riz épais que l’on mêle à la bouillie rougeâtre, le sang qui coagule dans une grande jatte ébréchée… Et je revois en superposition, presque en fondu enchaîné, les restes humains bleuis, noircis, sur la table de la cuisine de l’appartement que je viens de quitter. Ça sent le sang, fortement, âcrement, les radiateurs étant montés presque au maximum. Il ne fait pourtant pas aussi glacial dehors. Les chairs se sont amollies et presque décomposées sous l’effet accélérateur de la température, comme une poire oubliée en été dans un saladier. Depuis combien de temps est-il là, ce corps, ce reste de Martineau posé sur cette table ?… »
(extrait de L’Effleure du Mal)